Chroniquer des livres quand on écrit soi-même ?
Ou, pour le formuler autrement : qui suis-je pour juger ce qu’écrivent mes collègues ?
De simple lectrice, je suis devenue aussi autrice
J’ai été lectrice bien avant d’être autrice. Et même si j’ai commencé à écrire assez jeune (coucou mon premier “roman” écrit à l’âge de 11 ans 😉), je n’ai envisagé cette activité dans un objectif de publication que de longues années plus tard.
En tant que lectrice, je ne me suis jamais questionnée au sujet de ma légitimité ou non à donner mon avis sur les livres. Je ne m’estimais pas moins fondée que n’importe qui d’autre à commenter mes lectures : expliquer ce qui m’avait plu, ce qui m’avait moins plu – voire carrément déplu –, ce qui m’avait enthousiasmée, ce qui m’avait gênée, ce que j’admirais, ce qui m’agaçait… Au même titre que je pouvais (et peux encore, sans état d’âme) donner mon avis sur telle ou telle chanson entendue à la radio, tel ou tel film vu au cinéma, ou telle ou telle série visionnée sur mon service de streaming favori. Bref, vous saisissez l’idée.
Et puis, et puis… début 2021, j’ai découvert l’existence des appels à textes, et un rêve d’enfant a refait surface : pourquoi est-ce que je n’essaierais pas, moi aussi, d’écrire pour les autres et non plus seulement pour moi ? Pourquoi est-ce que je ne tenterais pas de me tailler une minuscule place dans le milieu de l’édition ?
C’est ainsi que, de fil en aiguille, appel à textes après appel à textes, je me suis d’abord remise à écrire. Puis que l’écriture a, petit à petit, occupé une place de plus en plus importante dans ma vie. À tel point que j’ai même choisi de réduire autant que possible mon temps de travail (celui qui nous nourrit, les trois bouches qui dépendent de moi et moi-même) afin de pouvoir me consacrer davantage à ce que je considère désormais comme mon “vrai” travail : celui qui, certes, ne me rémunère pas, ou si peu, mais auquel je consacre mes efforts les plus importants.
Alors, aujourd’hui, je ne suis plus simplement lectrice : je suis devenue aussi autrice. Et cela change tout.
Ce que cela change
OK, “tout”, c’est assez vague. Donc allons-y, essayons de détailler un peu ce que recouvre concrètement ce “tout”.
Mon regard de lectrice
La première chose qui s’est modifiée chez moi, en tant que lectrice, et qui continue à évoluer, jour après jour, depuis que je cherche à me professionnaliser dans l’écriture, c’est le regard que je porte sur les textes.
Même si je lis pour le plaisir (ce qui est toujours le cas, sauf lors d’une bêta-lecture), je ne peux pas m’empêcher de prêter attention à certains détails auxquels je n’attachais pas d’importance avant.
Des détails qui portent sur les techniques d’écriture utilisées et les angles d’approche choisis par l’auteurice : quel est le point de vue adopté, comment sont caractérisés les dialogues de tel ou tel personnage, le style employé s’accorde-t-il avec le rythme de la scène, qu’est-ce qui fait que tel ou tel passage fonctionne aussi bien et accroche autant l’attention, etc.
Mais aussi des détails qui vont constituer des indices sur le niveau d’investissement éditorial, et donc me donner plus ou moins envie de soumettre mes textes à telle ou telle maison d’édition : la couverture est-elle en phase avec les codes du genre, a-t-elle été réalisée via IA (gros red flag pour moi, il faudra que j’en parle dans un autre article), la correction orthotypographique est-elle soignée (j’ai de la chance, la plupart des fautes d’orthographe me sautent aux yeux, du moins pour les textes que je n’ai pas écrits moi-même), reste-t-il des incohérences dans l’intrigue, la mise en page est-elle impeccable, etc.
Conséquence de tout ça ? Je deviens une lectrice de plus en plus difficile.
Ma connaissance du travail que représente l’écriture et la publication d’un roman
Écrire un roman, c’est compliqué. Écrire un roman et réussir à le faire publier, encore davantage.
Pour écrire un roman, il ne suffit pas d’avoir une idée, de prévoir un plan, de se lancer dans l’écriture, et une fois le point final posé, d’envoyer le résultat aux maisons d’édition.
Écrire un roman, c’est avant tout relire et réécrire (et répéter en boucle ces 2 étapes).
Parce qu’une fois le premier jet terminé (et là, on y a souvent passé déjà plusieurs mois), en général, il est impubliable. Bourré de problèmes de toutes sortes, aussi bien sur le fond que dans la forme. Incohérences variées (dans le comportement des personnages, dans l’intrigue, etc), défauts de rythme du récit, passages obscurs sauf dans la tête de l’auteurice, tournures maladroites, répétitions en pagaille, etc.
Donc, il a besoin d’être corrigé. Voire entièrement réécrit. Première passe.
Puis on l’envoie à des bêta-lecteurices, qui vont le décortiquer, parce qu’après avoir passé des mois à travailler sur un même texte, on n’a pas le recul nécessaire pour y trouver ce qui cloche encore. Normal, on n’est qu’humain.
Ensuite, on compile les retours des bêta-lecteurices (en priant pour que les remarques ne se contredisent pas toutes entre elles), on fait le tri entre les éléments qu’on garde et ceux qu’on décide, après les avoir bien soupesés, de mettre de côté (et je vous assure qu’il n’est pas rare, à cette étape-ci, de beaucoup se remettre soi-même en question), on se retrousse les manches… et on corrige à nouveau : passages entiers à supprimer, chapitres complets à ajouter, scènes à modifier, dynamiques entre les personnages à revoir, points majeurs de l’intrigue à modifier de fond en comble, etc.
Ensuite, selon l’importance des corrections apportées… On refait une passe de bêta-lectures, et rebelote. Ou bien on estime pouvoir enfin passer à l’étape suivante : les corrections de forme. Et là, on lit et relit son texte des dizaines de fois, pour peser chaque mot, vérifier chaque tournure, s’assurer que les dialogues sonnent de manière naturelle, qu’on n’a pas laissé de répétition involontaire, etc.
Au final, quand on arrive à une version qu’on estime pouvoir envoyer en soumissions aux maisons d’édition, on ne peut plus voir
son texte en peinture a travaillé de longs mois sur le manuscrit, parfois des années. Pour ma part, à ce stade, j’ai passé
grosso modo l’équivalent d’un travail à temps plein de 6 mois à un an (pris sur les heures libérées par mon temps partiel,
mes soirées, mes week-ends, et mes vacances…
je vous raconterai peut-être une prochaine fois comment tout cela m’a sûrement fait frôler le burn-out en août 2024 😬). Ce qui
n’est pas anodin comme quantité de travail, vous en conviendrez. Et ce, alors que mes romans sont plutôt courts. Certain·e·s
auteurices sont plus rapides, d’autres moins. Cela dépend à la fois de la personne et du texte.
Et…
Ce n’est pas fini !
Car si le manuscrit est accepté par une maison d’édition, il va à nouveau être corrigé. Ce que les bêta-lecteurices n’avaient pas vu, l’œil professionnel de l’éditeurice va le débusquer, et c’est donc reparti pour un tour, où on compile les retours, on regarde ceux avec lesquels on est en phase, ceux avec lesquels on ne l’est pas, et on remodifie son texte. Il peut y avoir plusieurs allers-retours, d’abord sur le fond, ensuite sur la forme.
Puis le roman part en corrections orthotypographiques, puis en maquettage, et vient alors enfin le BAT (Bon À Tirer),
où on a une dernière relecture à effectuer pour terminer de se convaincre qu’on a accouché du texte le plus nul de
tout l’univers s’assurer que tout est OK avant l’envoi à l’imprimeur.
Alors, maintenant que je sais quelle montagne de travail se cache derrière la publication d’un roman… qui serais-je si j’allais clamer publiquement que le résultat de ce travail acharné ne me plaît pas ? Cela reviendrait à cracher sur le travail d’un·e collègue – qui plus est, face à des gens qui ne sont pas du métier –, alors qu’au fond, il n’est question que d’une simple différence de goûts.
Ma prise de conscience de l’attachement émotionnel d’un·e auteurice à son texte
Écrire un roman, c’est compliqué, on vient de le voir, parce que cela demande une importante quantité de travail. OK.
Mais il y a d’autres choses qui demandent une importante quantité de travail. Par exemple, dans mon job alimentaire, si un·e collègue vient me trouver pour m’expliquer que le projet sur lequel je bosse depuis un an ne tient pas la route, et m’avance des arguments en ce sens, je ne vais pas avoir envie de me pendre. Je l’écouterai, je pourrai ou non me trouver en phase avec sa démonstration, je serai peut-être en accord concernant certains points et en désaccord sur d’autres. Bref, on discutera, et de cet échange pourront naître des idées de modifications, d’améliorations, etc.
Alors quelle différence avec l’écriture ?
Les tripes.
Là où je n’ai qu’une posture strictement professionnelle dans mon travail alimentaire, je mets un petit bout de moi dans chacun de mes textes. L’attachement n’est donc pas du tout le même.
Bien sûr, si, suite à l’hypothétique discussion professionnelle évoquée ci-dessus, je me rends compte que je dois mettre à la poubelle ce sur quoi j’ai travaillé depuis un an, ça ne va pas m’amuser. Idem si mon patron décide que la stratégie de l’entreprise a changé et que ce sur quoi je bosse depuis 4 ans n’est plus une priorité, et qu’on va laisser mourir le produit (ça sent le vécu ? Peut-être parce que ça l’est 😅). Mais ça ne va pas non plus me rendre malade. Après tout, j’aurai été payée pour le travail effectué, et je conserverai la satisfaction de l’avoir accompli de mon mieux et avec sérieux. Le reste n’est pas de mon ressort. Et de toute façon, si je n’avais pas besoin de manger, je n’aurais sans doute rien fait de tout ça (aaah, tout l’amour que j’ai pour mon job, c’est beau, non ?)
Mais mes textes… C’est moi qui ai choisi de les écrire. Au niveau émotionnel, je m’investis énormément dedans. L’acte d’écrire est un acte hautement impudique. La première fois que j’ai fait lire une de mes nouvelles, j’ai eu l’impression de me montrer dévêtue (non, ce ne sont pourtant pas des récits autobiographiques). Et cet intense niveau d’investissement émotionnel est similaire chez quasiment tou·te·s les auteurices que je connais.
Alors chaque commentaire négatif ou en demi-teinte, même argumenté, va avoir le pouvoir de me saper le moral à l’extrême. Surtout s’il arrive à un moment où je traverse une phase de doute, ou si, pour une raison ou une autre – qui a ou non à voir avec l’écriture –, mon état mental s’avère déjà fragile.
Est-ce que j’ai envie de subir ça ? Pas vraiment, non. 😅 Même si je sais, évidemment, que c’est l’un des aspects du travail des auteurices : s’exposer publiquement, ou du moins, exposer publiquement ses textes, c’est aussi s’exposer / les exposer à la critique, élogieuse ou assassine. Mais disons que devoir me confronter aux commentaires négatifs le moins souvent possible ne me dérangerait pas.
Est-ce que j’ai envie de faire subir ça à mes collègues ? Non plus. 😉
Ma découverte de l’importance des avis / critiques / chroniques dans le milieu éditorial
Très bien, il me suffit alors de ne donner nulle part mon avis sur mes lectures.
Alors oui… mais non. 🤡
Parce que voyez-vous, ce serait beaucoup trop simple !
Car qu’ai-je donc découvert, aussi, ces dernières années ? L’importance des avis / critiques / chroniques.
Petite explication : savez-vous ce qui est encore plus compliqué que d’écrire un roman ?
Le vendre…
Ou, plus exactement, bien le vendre. C’est à dire en vendre beaucoup, n’ayons pas peur des mots. Parce que l’édition est un business, et que pour qu’une maison d’édition puisse continuer à publier des livres et rémunérer toutes les personnes qui ont travaillé dessus (y compris l’auteurice)… Eh bien il faut qu’elle parvienne à les vendre.
À combien s’élève le “beaucoup”, ça, c’est une autre question, et ça va dépendre de plein de facteurs. Les ventes de tel ou tel titre publié par telle ou telle maison peuvent très bien ne pas être considérées comme satisfaisantes, alors même qu’un volume de ventes identique pour un autre titre dans une autre maison sera au contraire considéré comme un succès. Mais ce n’est pas ça que je veux évoquer ici.
Ce dont je veux parler, c’est la difficulté de vendre au volume attendu. Et dans l’atteinte de cet objectif, les avis / critiques / chroniques jouent un rôle crucial. Car un livre dont personne n’a jamais entendu parler, même s’il s’agit d’un chef d’œuvre, ne se vendra pas.
Ce qui fait vendre un livre, c’est sa visibilité. Attention, je ne dis pas que c’est un critère suffisant. Mais c’est en tout cas un critère nécessaire.
Et sa visibilité se décline sur plusieurs plans :
- visibilité en librairie (un livre mis en avant sur une table, avec une jolie pile du même titre, se vendra mieux que l’exemplaire unique d’un titre concurrent coincé sur un rayonnage à 2,25 mètres de hauteur, ou que cet autre titre qui n’a même pas été déballé du carton et sera renvoyé tel quel au distributeur – oui, ça existe) ;
- visibilité dans les médias traditionnels (chroniques à la radio, à la télé, affiches dans les couloirs du métro, dans les gares, encarts dans les journaux ou magazines, etc) ;
- visibilité en ligne : sur les sites spécialisés (Babelio, Booknode, Goodreads, Livraddict, etc), sur les réseaux sociaux (Instagram, TikTok, Facebook, BlueSky, etc), sur les blogs de lecteurices, sur les sites marchands (Amazon, Fnac, etc), sur les sites des maisons d’édition, etc ;
- visibilité via le bouche à oreille (recommandation par la famille, les amis, les collègues, par des médiathécaires, etc).
📢 J’en profite pour passer un petit message : si vous aimez un roman, parlez-en autour de vous et déposez un avis en ligne (pas besoin de faire long, une ou deux phrases peuvent suffire) ! 😉
📌 D’ailleurs, le saviez-vous ? Il n’y a pas que pour les ventes que les avis sont cruciaux. Pour l’avenir éditorial du livre lui-même, ils jouent aussi. Par exemple, certaines structures regardent les avis (notamment la quantité d’avis) Amazon pour décider ou non de publier un roman en version audio, au format poche, ou pour le traduire dans une langue étrangère.
Alors on fait quoi, maintenant ?
Donc si je résume : laisser un avis ou un commentaire en ligne sur les romans de mes collègues auteurices peut les aider à vendre davantage et à obtenir de nouvelles opportunités pour leurs textes.
Mais laisser un avis ou un commentaire négatif me pose un problème moral.
Alors je fais quoi, maintenant ?
Déjà, je pense que je vais réserver les avis sur ce blog uniquement à mes coups de cœur.
Ensuite, il y a le cas des livres que j’ai vraiment aimés : là, c’est facile. Je peux poster mon avis sans état d’âme. Je vais d’ailleurs essayer de continuer à le faire. Pas ici, sur le blog, mais au moins sur les plate-formes de lecture et/ou de vente.
Et pour les livres que j’ai moins appréciés ?
Si l’auteurice est décédé·e, je me permettrai de poster mon avis sans filtre : je ne blesserai personne. Sinon… selon les cas, soit je passerai tout simplement mon chemin, soit je me focaliserai sur les points qui m’auront plu (il y en a toujours, sinon, en général, je ne poursuis pas au delà des deux ou trois premières pages).
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