Avis sur Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal
Les destins glaçants de trois femmes peules.
Le roman
Genre : contemporain
Éditions Emmanuelle Colas / J’ai lu
Disponible en versions brochée, poche, audio et numérique
Résumé
Trois femmes, trois histoires, trois destins liés. Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l’époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d’épouser son cousin. Patience ! C’est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu’il est impensable d’aller contre la volonté d’Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?
Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes.
Mon avis
On suit les destins croisés de trois femmes : Ramla, lycéenne brillante, qui rêvait de devenir pharmacienne, mariée de force à un quinquagénaire dont elle devient la deuxième épouse. Hindou, contrainte d’épouser son cousin, qui boit, se drogue, la viole et la bat. Safira, première femme de l’époux de Ramla, qui va tout tenter pour faire répudier sa rivale.
C’est un livre révoltant, qui nous plonge dans la réalité dramatique vécue par les femmes peules dans le nord du Cameroun : mariage forcé (mais on leur assène qu’elles sont consentantes), viols conjugaux, violences extrêmes, humiliations, polygamie… Et le mot “munyal”, patience, qu’on leur répète comme un mantra, comme si à force de patience, à force de subir sans jamais se plaindre, leur condition allait s’améliorer d’elle-même. Ce mot, à la fin du livre, on a appris à le haïr presque autant que celles à qui il est rabâché toute une vie durant.
C’est une chose de savoir que ces pratiques existent, intellectuellement parlant ; c’en est une autre, je trouve, de les lire dans toute la crudité avec laquelle l’autrice les expose. Parce que même l’espoir de l’instruction semble vain. Parce que le système est perpétué avec tant de ferveur aussi bien par les hommes que par les femmes, les victimes, elles-mêmes, qu’il en devient vraiment glaçant. Parce qu’on y apprend le rôle et la place terribles que jouent les familles dans ces drames du quotidien. Parce que l’autrice nous fait franchir les murs des concessions, qui abritent toutes ces horreurs, pour nous les dévoiler telles qu’elles sont, sans fard, sans édulcorant, juste dans la glaçante brutalité des faits.
Je suis sortie de cette lecture très secouée.
Quelques extraits
Le paradis d’une femme se trouve aux pieds de son époux.
Depuis le CM2, j’ai vu toutes mes amies et mes camarades de classe se marier les unes après les autres. Au cours préparatoire, nous étions une cinquantaine ; à présent, nous ne sommes plus que dix. Mais, pour moi, comme pour les autres, c’est juste une question de temps. Depuis mes treize ans, une foule de prétendants me fait la cour.
Ô mon père ! Tu dis connaître l’islam sur le bout des doigts. Tu nous obliges à être voilées, à accomplir nos prières, à respecter nos traditions, alors, pourquoi ignores-tu délibérément ce précepte du Prophète qui stipule que le consentement d’une fille à son mariage est obligatoire ?
Les conseils d’usage, qu’un père donne à sa fille au moment du mariage et, par ricochet, à toutes les femmes présentes, on les connaissait déjà par cœur. Ils ne se résumaient qu’à une seule et unique recommandation : soyez soumises !
Accepter tout de nos époux. Il a toujours raison, il a tous les droits et nous, tous les devoirs. Si le mariage est une réussite, le mérite reviendra à notre obéissance, à notre bon caractère, à nos compromis ; si c’est un échec, ce sera de notre seule faute. Et la conséquence de notre mauvais comportement, de notre caractère exécrable, de notre manque de retenue. Pour conclure, patience, munyal face aux épreuves, à la douleur, aux peines.
On dit que chaque pas d’une fille pubère non mariée est comptabilisé dans le grand livre de comptes et inscrit comme péché pour son père. Chaque goutte de sang impur d’une adolescente encore célibataire précipite son père en enfer.
Ce n’est pas un crime ! C’est un acte légitime ! Le devoir conjugal. Ce n’est pas un péché. Bien au contraire. Que ce soit pour moi ou pour Moubarak, c’est un bienfait accordé par Allah.
Ce n’est pas un viol. C’est une preuve d’amour. On conseilla tout de même à Moubarak de refréner ses ardeurs vu les points de suture que ma blessure nécessita. On me consola. C’est ça, le mariage. La prochaine fois, ça ira mieux. Et puis, c’est ça la patience, le munyal dont on parlait justement. Une femme passe par plusieurs étapes douloureuses de sa vie. Ce qui s’était produit en faisait partie. Il ne me restait qu’à prendre des bouillies agrémentées de natron, ainsi que des bains chauds afin d’accélérer mon rétablissement.
« Il est difficile, le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. À toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. »
Une fois que je suis allongée près de lui, Moubarak me viole en guise de consolation, non sans oublier de me répéter que c’est de ma faute s’il me frappe, que je réussis toujours à le mettre hors de lui. Il m’exhorte à être plus consciencieuse dorénavant et ajoute qu’il me pardonne.
Au bilan
Une lecture d’une grande violence pour les âmes sensibles, mais un livre nécessaire.
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