Chronique du roman de Claire North : Touch (Du bout des doigts)

Un thriller fantastique atypique mais brillant.

Le roman

Genre : thriller fantastique

Éditions Bragelonne
Disponible en versions poche, numérique et audio

Résumé

« Je suis Kepler. Je pourrais être vous. »
Alors que la vie s’échappait de mon corps, j’ai tendu la main vers mon assassin. Et tout à coup, je voyais le monde à travers ses yeux, mon corps étendu, brisé et ensanglanté, dans une ruelle sombre.
Plus je passe d’un corps à l’autre, plus l’échange est facile, que je reste quelques minutes ou quelques années. Maintenant, on me poursuit et on tue mes hôtes les uns après les autres, sans que je sache qui ni pourquoi.
Je suis Kepler. Je pourrais être vous.

couverture du roman Touch

Mon avis

Ce roman parvient à conjuguer avec talent les souvenirs souvent pleins de mélancolie du narrateur et la tension inhérente au genre du thriller, que j’ai ressentie avec force tout au long des pages (le livre n’est pourtant pas franchement court).

Il nous plonge dans une enquête que ne renieraient pas les scénaristes d’Hollywood (oui, avec les défauts que cela peut impliquer) tout en soulevant, au gré des rencontres et des paysages, des questionnements et des bribes de réflexions sur un éventail hétéroclite de sujets, qui vont de “qu’est-ce que l’amour” à “la conception de la santé mentale sous les régimes communistes”.

Il nous fait voyager à travers les pays et les époques, à pied, en voiture, en train ou par avion, des escaliers du métro d’Istanbul jusqu’au Metropolitan Museum of Art de New York, en passant par les rivages de la Mer Rouge, les rues de Berlin, la campagne slovaque, et quantité d’autres lieux…

On croise au fil des pages Marylin Monroe et Martin Luther King, des prostituées malades trop pauvres pour se payer le traitement dont elles ont besoin ou des ducs richissimes de la Russie tsariste, des politiciennes influentes et des femmes de ménage. On se glisse dans leur peau pour les regarder avec les yeux de Kepler, et on apprend à les aimer.

Et à travers toutes ces peaux que Kepler porte les unes après les autres, c’est lui (ou elle ?) qu’on apprend à connaître. Dans toute sa complexité… et dans toute son humanité, comble pour un personnage qui n’est qu’un fantôme empruntant les corps des autres. Parce qu’il a cette capacité à voir le beau en chaque être humain.

C’est un roman qui opère un curieux mélange des genres… Et c’est peut-être aussi pour cette raison que je l’ai tant apprécié. Pour ce côté thriller contemplatif. Pour ce fantastique qui frôle parfois la science-fiction. Pour cette touche résolument contemporaine et ces incursions historiques. Pour ce récit choral, pourtant écrit d’un seul et unique point de vue.

Quelques extraits

Sauter dans un corps ivre est une expérience parfaitement déplaisante. Je crois fermement que le processus par lequel on se soûle est destiné à amortir la réalité de l’ébriété. Petit à petit, l’esprit s’habitue à voir tanguer la pièce, à avoir trop chaud et les boyaux tordus, de sorte que, malgré tous les signaux physiologiques qui hurlent : poison, poison, poison !, la transition reste assez progressive et agréable pour que l’expérience globale ne tombe pas dans la catégorie infâme.
Mais passer sans transition d’un corps raisonnablement sobre à un corps imprégné de tout un assortiment de substances toxiques, c’est comme sauter du dos d’un poney en train de trottiner à l’intérieur d’un train lancé à vive allure.

Il va se présenter aux élections pour le Congrès et il gagnera, parce qu’il vendra avec des mensonges ce qu’il ne pourra pas acheter avec son fric. Pour le moment, il enchaîne les soirées de levée de fonds, et il viole de pauvres filles noires parce qu’il sait qu’il ne sera jamais inquiété, parce que nous le laissons faire. Nous. La loi. Nous sommes censés protéger tous les citoyens de façon égale, mais il en est certains que nous protégeons de façon plus égale que d’autres.

Quatre jours plus tard, elle portait une robe de bal bleue coupée pour souligner la finesse de sa taille, la rondeur de ses fesses et le galbe de ses jambes, tandis que je portais un homme en costume mais dépourvu de menton, qui vendait des voitures pourries à des gens naïfs et qui avait tenté d’exercer ses talents sur moi.

Comme dans beaucoup d’autres cas, le communisme n’a pas été tendre envers cette idylle champêtre. Avec toute la douceur d’un tank dans une tranchée, il a remplacé les villages de pierre rustique et leurs minuscules chapelles soigneusement entretenues par des barres d’habitation et des zones industrielles bétonnées, qui ont commencé à se dégrader dès la fin de leur construction. Les rivières à l’eau jadis limpide coulent désormais paresseusement à travers les plaines, leur surface recouverte d’une épaisse mousse verte qui se reconstitue sitôt qu’on la nettoie.

Sous le régime communiste, on avait une conception très simple de la santé mentale. La dépression, la schizophrénie, les désordres bipolaires et, pire encore, toute opinion contraire à celles professées par l’État, n’étaient que l’expression d’un esprit dérangé qu’il convenait d’isoler du corps politique. Être malade, c’était être en faute. Vous qui pleurez en contemplant les rudes vérités de ce monde, vous qui voyez clairement les mensonges que l’on vous raconte, vous vous êtes infligé ça tout seuls, disait l’État. Soyez donc reconnaissants de la miséricorde, si infime soit-elle, que la nation daigne vous témoigner.
Nous appelons ça une maladie, m’a chuchoté un jour un docteur dans les bas-fonds de Vienne, mais une maladie, c’est beaucoup plus difficile à blâmer que des gens.
Depuis, le communisme a chu, mais les idées mettent plus longtemps à tomber que les hommes.

Je ne peux prétendre que mes expériences m’ont rendue plus sage, ou plus bienveillante, ni qu’elles m’ont fourni un socle moral depuis lequel je peux prêcher devant la foule. Mais j’ai appris une chose : les bains de sang ne résolvent jamais, jamais le problème.

Tous les hommes veulent être quelqu’un d’autre. C’est ce qui les pousse à accomplir de grandes choses avec la vie dont ils disposent.

Je suis Nathan Coyle, et les yeux que je scrute dans le miroir brûlent d’envie de pleurer.
Et l’espace d’un instant, tandis que mon reflet me rend mon regard, je jure devant Dieu que je préférerais être n’importe qui d’autre au monde.

Cette conception de l’amour en tant qu’embrasement romantique doublé d’une stabilité monogame est parfaitement ridicule. Vous aimiez vos parents, peut-être, parce qu’ils étaient la chaleur dans laquelle vous pouviez vous réfugier. Vous avez aimé votre premier béguin si fort que vos lèvres vous picotaient et que vous vous sentiez tout léger en sa présence. Vous aimez votre femme avec la régularité tranquille des marées, votre maîtresse avec l’ardeur d’une étoile filante, votre meilleur ami avec la confiance solide d’une montagne. L’amour est un sentiment aux multiples splendeurs, comme le dit la vieille chanson.

Au bilan

Un excellent thriller, une tension bien maîtrisée, et un personnage principal aussi complexe qu’émouvant.



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