Chronique du roman de Mélanie Bantignies : Enquête et Charleston
Un très sympathique cosy mystery, dans le Paris des années folles.
Le roman
Genre : roman policier (cosy mystery) historique
Éditions City
Disponible en versions brochée et numérique
Résumé
1925. Après avoir voyagé pendant des années à travers le monde, Madeleine Hardwick se fait une joie de rentrer enfin chez elle, en France. Mais c’est avec stupeur qu’elle découvre que sa meilleure amie Léonie a été assassinée. Déterminée à comprendre ce qui s’est passé et à rendre justice, Madeleine se rend à Paris, sur les traces de Léonie. Avec l’aide de ses deux fidèles domestiques, John et Eugénie, elle va tenter de percer les secrets de sa défunte amie qui l’ont conduite tout droit dans la tombe. Mais au fur et à mesure de son enquête, Madeleine se rend compte qu’il faut toujours se méfier des apparences, et qu’un secret bien macabre se cache derrière la disparition de Léonie. Et surtout, le diable peut parfois se cacher derrière le plus charmant des sourires…
Mon avis
Plongée dans le Paris des années folles avec ce cosy mystery historique – le premier volet d’une trilogie, d’après mes sources ! 😉
Dans les premiers chapitres, je reconnais que j’ai eu un peu de mal à m’attacher à Madeleine, le personnage principal. Mais quand elle plonge tête baissée dans son enquête, sur les traces de son amie Léonie, qui n’évoluait pas du tout dans le même milieu qu’elle, on voit petit à petit son caractère se modifier, s’affirmer et s’ouvrir aux autres, si bien qu’au fil des pages, j’ai assez vite appris à l’apprécier. D’ailleurs, j’ai refermé le roman un peu triste de la quitter.
Mais Madeleine n’est pas la seule que l’autrice a su rendre attachante : Eugénie et sa bienveillance, John et ses gaffes, Paul l’esthète, Edgar et son impatience, Émile le compréhensif, Daphné et sa vivacité d’esprit, Fanny… eh bien, Fanny, quoi ! 🤣 sont autant de personnages que j’ai eu plaisir à côtoyer, et que je retrouverai avec joie dans le prochain opus.
L’intrigue en elle-même est plutôt bien ficelée. Cela reste du cosy mystery, donc avec une ambiance détendue : on n’est pas dans un thriller avec une tension insoutenable. Pour autant, on suit l’enquête avec plaisir. Et si l’habitude de lire des romans policiers permet d’identifier rapidement des pistes, grâce aux divers indices distillés, la découverte de l’identité exacte des coupables et des détails précis de leurs mobiles n’est pas forcément évidente, ce qui permet de maintenir l’intérêt jusqu’à la conclusion.
L’autrice ne se prive pas, tout au long du récit, de dispenser quelques réflexions sur la condition de la femme, c’est plaisant. La vaste galerie de personnages qu’elle propose, notamment féminins, et la variété de points de vue évoqués sur divers sujets tels que la place des femmes dans la société ou leurs habitudes vestimentaires, permet d’ailleurs de brosser un portrait intéressant de l’évolution des mœurs qui a marqué la période.
Autre élément que j’ai particulièrement apprécié : le naturel de certaines scènes et dialogues, notamment celles où s’affrontent les deux caractères bien trempés de Madeleine et Edgar lors de leurs quelques premières rencontres. J’y ai vraiment retrouvé l’ambiance typique des cosy mysteries tels que je les aime.
Quelques extraits
Augustine dut utiliser ses deux mains pour remplir les tasses. N’ayant pas cédé à la mode actuelle qui offrait à chaque femme la possibilité de porter une robe légère sans corset – quelle inconvenance ! –, elle dut se rapprocher de la table pour ne pas avoir à trop se pencher. Cette sensation, ô combien inconfortable, des baleines qui vous rentraient dans les côtes était préférable au fait de se promener presque nue.
Un air de piano envoûtant s’échappait des fenêtres ouvertes. Malgré la fraîcheur de la soirée, des tables étaient sorties, et la terrasse, bondée. Les femmes avaient leurs fourrures sur les épaules, et portaient à leurs lèvres écarlates de longs fume-cigarette d’ivoire. Les hommes, les bras sur le dossier des chaises de leurs compagnes, savouraient leurs verres, profitant d’un moment de détente en couple ou entre amis.
— J’ignore comment se passe une enquête aux États-Unis. En revanche, ce que je peux vous dire, c’est que la police française n’a pas pour habitude de laisser les citoyens faire n’importe quoi. Par conséquent, je vais vous le redemander gentiment. Pourquoi vous intéressez-vous à cette affaire ?
Elle lui répondit d’une voix pleine de morgue :
— Dieu, c’est bien ça ? Ce nom vous va très bien ! Vous possédez l’air supérieur qui lui sied à la perfection !
— C’est celui que l’on donne aux enfants trouvés dans le but de compenser les péchés qui souillent nos âmes, et pour nous rappeler qu’il y aura toujours une personne au-dessus de nous, lui rétorqua-t-il d’un ton tranchant.
Elle eut au moins la décence de paraître embarrassée.
Ces cabarets étaient effectivement très connus. Côte à côte, leurs façades étaient décorées en fonction de leurs noms respectifs. L’Ange avec ses chérubins, la tête dans les étoiles ; Le Démon, avec sa gueule grande ouverte, tous crocs sortis, qui indiquait l’entrée de l’établissement. Ce dernier était, paraît-il, particulièrement réussi, avec ses tables en forme de cercueils et ses serveurs vêtus comme des vampires.
Après avoir traversé le boulevard, encore humide des pluies de fin d’après-midi, elle fit face aux cabarets jumeaux : L’Ange et Le Démon. Si elle se fiait au message reçu, c’était dans le second qu’elle trouverait Paul. La gueule ouverte révélant des crocs acérés entourait une lourde porte de bois. La foule se pressait pour pénétrer dans ce qui semblait être un antre du vice. S’approchant un peu plus, elle distingua les sculptures qui enluminaient la devanture du surprenant l’établissement : diables à queues fourchues, humains destinés à l’enfer, les visages crispés en une grimace de douleur. Les damnations sous toutes leurs formes étaient représentées. C’était d’un profond mauvais goût. Mais, à regarder de plus près la cohue qui ne cessait de grossir, Samuel Nakache avait trouvé un concept porteur.
— Vous êtes bien un représentant du sexe fort ! Les hommes et leurs certitudes ! Toutes les femmes se sacrifient pour leurs époux ! Toutes ! Êtes-vous marié, inspecteur ?
Il acquiesça.
— Dites-vous que, quotidiennement, sans que vous vous en aperceviez, votre compagne renonce à quelque chose pour votre plaisir, votre ambition ou votre santé. Je peux vous citer des dizaines de femmes prêtes à tout pour conserver leur statut ! Certaines sont enchaînées à vie à des joueurs et ont peur de tout perdre du jour au lendemain ; d’autres ne parviennent pas à donner à leur époux le fils tant désiré, et craignent d’être remplacées par une version plus jeune d’elles-mêmes… D’autres, comme moi, subissent la colère de leur seigneur et maître, mais le supportent par amour pour leurs enfants.
Les privations demeuraient fraîches dans l’esprit de chacun, et les Français avaient besoin d’autre chose que de travail pour profiter de la vie. Enfin, les Français… Ceux qui avaient les moyens de se permettre ce luxe. Ainsi, on appelait « trains de plaisir » les locomotives qui quittaient la capitale en fin de semaine, déversant leurs centaines de touristes pressés de revêtir leur costume de bain une fois arrivés à destination. La femme aussi obtenait le droit de se réinventer. Finies les dix minutes de trempette réglementaires, dans une tenue inconfortable, à l’écart des baigneurs masculins. Depuis quelques années, les chariots à grosses roues, utilisés pour que leur inacceptable nudité soit exposée loin du rivage, avaient disparu. Désormais, on ne voyait plus que des corps de toutes natures, qui se dévoilaient de plus en plus au fur et à mesure que les mœurs évoluaient.
Au bilan
Une enquête crédible, menée par des personnages attachants, que j’ai pris plaisir à voir évoluer et que j’ai hâte de retrouver dans le tome 2 !
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