Chronique du roman de Tess Corsac : Se perdre à l’orée des songes

Un roman young-adult dans un univers de proche science-fiction, qui mêle avec talent enquête policière et questionnements sur le poids du passé dans la construction de soi.

(Service Presse)

Le roman

Genre : science-fiction Young-Adult

Gulf stream éditeur
À paraître le 15 février 2024

Résumé

2038
La technologie permet désormais à des « onironautes » d’accéder aux rêves des gens. Dans ce domaine, Éole et Naomi sont les meilleures. Le jour où cette dernière est recrutée pour une mission secrète, Éole se sent trahie : elle qui croyait leur duo inséparable se retrouve seule, sans explications.
Lorsqu’elle apprend finalement que Naomi est recrutée pour infiltrer les rêves d’un individu lié à une organisation criminelle, Éole souhaite à tout prix s’engager dans cette investigation. Plongée à son tour dans l’esprit de cet homme, elle découvre qu’il est impliqué dans le tragique accident qui l’a meurtrie étant enfant. Cette enquête devient alors personnelle et Éole est plus déterminée que jamais à établir la vérité. Mais est-elle vraiment prête à affronter les vestiges de son passé ?
Une quête d’identité qui emprunte les chemins escarpés de nos rêves les plus secrets.

Mon avis

Je remercie Gulf stream éditeur pour ce roman, que j’ai reçu via l’opération Masse Critique de Babelio.

La première chose qui m’a frappée quand j’ai commencé ma lecture, c’est la qualité des descriptions. En général, dans les romans jeunesse ou young-adult, j’en suis assez peu friande : je leur trouve souvent un aspect un peu trop utilitaire. Mais Tess Corsac nous plonge d’emblée dans les songes qui vont émailler son récit, et la poésie qui émane de sa plume donne un charme certain aux décors oniriques qu’elle dépeint avec soin, sans jamais verser dans l’excès.

À propos des rêves, justement : ce sont eux, ainsi que l’exploitation qui en est faite par la société, à travers les onironautes, qui portent l’aspect SF du roman, dont l’intrigue se déroule dans un avenir proche, en 2038. Certaines scènes – notamment celle du cours donné par le personnage principal, Éole, avec sa binôme Naomi – sont clairement introduites pour glisser des informations aux lecteurs et lectrices sur les lois qui régissent cette pratique. Mais c’est réalisé avec suffisamment d’habileté pour ne pas paraître artificiel, d’autant plus que l’autrice en profite pour y affiner la caractérisation de ses personnages. Quant aux lois en question, je les ai trouvées très convaincantes et bien pensées.

La couverture du livre (magnifique, d’ailleurs : l’image ci-dessus, sans les dorures, ne lui rend pas justice, et mes malheureuses tentatives pour la prendre en photo pas davantage 😕) promet un thriller. Et effectivement, l’enquête menée par les personnages prend une place importante dans le récit, avec assez de tension, de péripéties et d’action pour séduire le lectorat le plus jeune de la tranche visée. J’ai pour ma part beaucoup apprécié de me laisser surprendre par sa résolution, qui déjoue certaines attentes du genre, ce qui est loin de me déplaire.

Mais le thriller est également psychologique : à travers les rêves, on découvre le passé et les souvenirs des personnages, le rôle qu’ils ont joué ou jouent encore dans la construction de leur personnalité, le poids qu’ils représentent dans leur existence. La quête d’Éole est aussi une quête d’elle-même, un cheminement sur la voie qui lui permettra de faire la paix avec ses blessures. Il est question de deuil, de culpabilité, de santé mentale… D’amitié, d’amour et d’entraide, aussi. Certaines scènes m’ont tiré des larmes. C’est dur, parfois. C’est émouvant, souvent. Mais c’est écrit avec une pudeur et une justesse, qui sauront, je pense, toucher aussi bien des adultes que les grands adolescents auxquels s’adresse le roman.

Je souligne enfin que l’intrication entre l’aspect psychologique du roman et l’enquête policière est menée avec beaucoup de talent. Même en littérature adulte, les thrillers dans lesquels le personnage principal se débat avec ses démons intérieurs sans que ceux-ci n’aient rien à voir avec le fil rouge de l’intrigue sont nombreux. Or ici, ce n’est pas du tout le cas : Tess Corsac parvient à entremêler les deux de telle façon qu’ils forment un tout organique, l’un n’étant pas dissociable de l’autre, et inversement. Chapeau.

Quelques extraits

Je déploie mon ombrelle lorsqu’une rafale nous emporte au-dessus de la ville. Nous fusons à toute vitesse vers le plafond-ciel. Nos blouses tressautent et mes cheveux déchaînés noient le visage de ma partenaire. Quand je sens que nous approchons l’ultime frontière du rêve, je prends une grande inspiration et… lâche prise.
Rugissant sa joie à plein coffre, Naomi me repousse et étale les bras à la façon d’un parachutiste. Elle savoure le plongeon en multipliant les pirouettes. De mon côté, je tends les mains loin devant moi et pique la tête la première vers le sol. Une sensation grisante m’avale tout entière. Mes tripes remuent, tassées contre un cœur drapé d’adrénaline.

Naomi me pose alors une question que je n’ose pas entendre. Elle se perd, dans ce crépuscule irraisonnable aux fleurs qui luisent. Je la laisse mourir, sa question, avec l’espoir qu’elle ne soit jamais répétée.

Mes paupières se ferment pour encaisser l’impact et je sens une secousse. Une onde de choc part de ma poitrine, ébranle le chalet et secoue la montagne. Quand je rouvre les yeux, toutes les fleurs se sont éteintes. Et l’homme s’est arrêté de jouer. Pour tout dire, l’homme n’est même plus là. À sa place se tient un préadolescent qui enlace une guitare trop grande pour lui. Et ce garçon impossible répond d’un ton plein de tendresse.

Pour me consoler, ma mère m’expliquait que le deuil, c’était de l’amour qui ne savait plus où aller.

Au bilan

Un excellent roman, servi par une plume poétique et sensible, qui saura à n’en pas douter séduire aussi bien les grands adolescents auxquels il se destine qu’un lectorat un peu plus âgé.

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