Avis sur Première Dame d’Amélie Serberg
Énorme coup de cœur pour ce thriller politique haletant, à l’écriture ciselée.
Vous pouvez découvrir ici l’interview d’Amélie Serberg, à laquelle elle a répondu mi juin 2024.
Le roman
Genre : thriller
Éditions Héloïse d’Ormesson
Disponible en versions brochée et numérique
Résumé
L’ambassade des États-Unis de New Delhi est en ébullition. Jul Solri, l’épouse de l’un des dictateurs les plus redoutés au monde, souhaite s’entretenir avec l’ambassadeur. Comment a-t-elle réussi à échapper à ses gardes du corps ? Pourquoi s’est-elle rendue dans l’antre de la puissance ennemie ? A-t-elle conscience que sa présence pourrait déclencher un conflit sans précédent ? Lorsqu’elle formule sa requête, le diplomate est sidéré : la Première dame souhaite obtenir un visa… de tourisme ! Demande aussi incongrue qu’irrecevable. Mais quand la jeune femme dévoile son cou meurtri, il comprend qu’elle est en fuite. Convaincu qu’il tient le moyen de briser le régime totalitaire, il la pousse à révéler les crimes perpétrés par son mari. C’est à cette seule condition qu’il l’aidera. Le compte à rebours est lancé.
Roman d’espionnage de haute volée, Première dame nous invite dans les coulisses survoltées de la diplomatie internationale. Femme trophée ou complice ? Victime ou manipulatrice ? Dans ce jeu de dupes, chacun avance ses pions, masqué, et celui qui croyait mener la partie aurait bien tort de sous-estimer l’adversaire.
Mon avis
Par où commencer ? Ce thriller est un énorme coup de cœur, l’un des romans les plus brillants que j’aie lus ces dernières années. J’ai absolument tout aimé : les personnages terriblement humains à la psychologie complexe, l’intrigue resserrée autour d’enjeux diplomatiques glaçants, les dialogues savoureux aux répliques incisives, les incursions dans l’intimité d’une épouse de dictateur, le contraste entre le cadre feutré de l’ambassade et la vie grouillante de New Delhi, la plume ciselée et évocatrice de l’autrice…
Les personnages sont travaillés avec une grande finesse et beaucoup de justesse. Les deux personnages principaux, bien sûr : Pavel, l’ambassadeur, avec son mélange d’idéalisme et de fougue, tellement imparfait qu’il en devient terriblement touchant ; Jul, tiraillée entre des convictions qui lui ont été inculquées depuis son enfance et les doutes nés de ses propres sentiments à l’égard de ceux qu’elle a aimés, sa sœur en particulier. Mais aussi tous les personnages secondaires. Colin, le chargé d’affaires, un homme mesuré et conciliant qui tente sans grand succès de juguler l’impétuosité de Pavel, dont il se montre le parfait contrepoint. Park, le bras droit des dictateurs de la dynastie Moon, absolument sinistre et terriblement crédible. Moon Jel-Un, pathétique à souhait et pourtant effrayant dans ce rôle trop grand pour lui. Laura, la secrétaire de l’ambassade, terrifiée par Pavel et malgré tout suffisamment fidèle à ses principes pour oser lui tenir tête quand elle le juge nécessaire. Judith Early, l’attachée de presse agaçante au point que, comme Pavel, on en vient à se demander quelles intentions l’animent.
L’intrigue nous emmène dans les coulisses de la diplomatie internationale, où chaque mot et chaque non-dit pèsent et peuvent faire basculer les fragiles équilibres géopolitiques mondiaux. Les enjeux sont clairement établis et la tension savamment maîtrisée. Les flashbacks, juste bien dosés, permettent quant à eux de dévoiler des informations importantes sur les passés respectifs de Jul et de Pavel, sans nuire au rythme du récit ; en outre, les flashbacks sur Jul présentent l’intérêt de montrer de manière très crédible, à nos yeux occidentaux, à quoi peut ressembler l’existence dans une dictature telle que la Corée du Nord et le conditionnement permanent auquel sont soumis ses habitants : ils aident à mieux appréhender pourquoi ces régimes peuvent perdurer et leurs dirigeants être adulés.
Je termine avec les dialogues. Les dialogues… Les dialogues sont jubilatoires. Amélie Serberg joue avec les répliques mordantes, les sous-entendus, les silences et les non-dits dans une partition magistrale, qui contribue à mon avis à faire de ce roman, au pitch si ambitieux, une telle réussite. C’est brillant. Vraiment.
Quelques extraits
Des rafales la poursuivent. Chaque seconde est peut-être sa dernière. Ça non plus, elle ne veut pas y penser parce que ce n’est pas le moment, et que si on pense trop fort à la mort, elle finit par vous entendre.
Pavel ignore si c’est la cigarette, le litre d’eau enfilé, ou la façon dont le tuyau d’arrosage ondule et l’hypnotise malgré lui, mais il regagne en vigueur et ce qu’il croit être de la lucidité.
– On va la garder encore un peu.
– Pardon ?
– Ordre d’Anthony, affirme Pavel sans se démonter.
Les traits de Colin se crispent sous le coup de la nouvelle.
– Il est gonflé. Tu lui as dit qu’il était gonflé ?
Pavel hausse les épaules. Il reprend une gorgée d’eau pour se donner une contenance et s’irriguer l’esprit, macéré en fruit confit.
Ils n’ont pas eu le temps de fouiller, se sermonne-t-il intérieurement, pas aussi vite… Malgré tout, un doute affreux se solidifie en lui. La conversation atteint un point mort.
Ses visiteurs passent en revue, dans une série de plissements de paupières dédaigneux, les accessoires qui les entourent, comme avides de capturer un indice derrière les lampes de laiton, les tranches de livres en cuir et les sous-main monogrammés.
– Que pensez-vous des Britanniques ? lance soudainement l’agent Yeun.
– Leur bouffe est dégueulasse.
– Sur le plan diplomatique, monsieur Estrada. Vous cultivez d’excellentes relations avec le Royaume-Uni. Quelle est leur perception de la camarade Jul Solri ?
Une onde de soulagement transperce sa poitrine. Ils ne savent rien. Leur présence ici n’est que le fruit d’une simple déduction.
Il me tord le bras et me force à faire volte-face.
– Non, camarade Solri, pas comme ça. Je ne suis pas votre ami, encore moins votre idiote dame de compagnie qui vous vénère et que vous malmenez à votre guise. Je suis le chef d’état-major et l’homme de confiance de votre mari ainsi que de son père. Je sers la dynastie Moon, et vous me devez le respect.
– Je suis la dynastie Moon, le provoqué-je.
Ses mains se referment sur mon cou. Il n’exerce aucune pression, mais je peux les sentir maintenir leur menace.
– Non. Vous êtes un ventre qui refuse de fonctionner. C’est tout ce que vous êtes. Et vous nous faites perdre du temps avec vos chouineries.
– Votre absence a provoqué un branle-bas de combat, les gardes sont revenus essoufflés, même cet insubmersible qui vous sert de chef d’état-major n’en menait pas large. Et vous osez me dire que vous n’avez rien fait ? Rien vu ?
– Exact.
– Vous mentez. Et mal, si vous voulez mon avis.
– Donc vous pensez que les camps chez Moon Jel-Un n’existent pas ? risqué-je alors qu’il entreprend de fermer la salle à clef.
Il ouvre la bouche sans prononcer le moindre mot, en proie à un bref moment d’absence, et puis il secoue la tête comme pour se sortir d’un mauvais rêve.
– Bien sûr que si. Tout le monde s’accorde à dire qu’ils existent. Encore faut-il pouvoir le prouver. Ça prend du temps, il faut avoir du cran, de l’endurance. Et une foi inébranlable en la justice.
Au bilan
Un roman brillant. Lisez-le.
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