Interview de l’autrice Amélie Serberg
Une interview dans laquelle Amélie Serberg nous en dit plus sur son thriller, un roman “féministe avant tout, au cœur d’un genre littéraire qui ne l’est pas encore assez”.
Amélie Serberg est l’autrice de Première Dame, un thriller politique, paru aux éditions Héloïse d’Ormesson en mai 2024.
— Bonjour Amélie. D’abord, un grand merci à toi d’avoir accepté de répondre à mes questions. Peux-tu te présenter, pour celles et ceux qui ne te connaissent pas ?
— Bonjour et merci à toi de m’avoir proposé cette interview. Je suis Amélie Serberg et j’ai publié mon premier roman, un thriller diplomatique intitulé Première Dame, aux éditions Héloïse d’Ormesson. Ce premier roman n’en revêt que le nom car j’ai en réalité déjà publié aux éditions Charleston, City et Geste sous le pseudonyme d’Ahava Soraruff. Comme j’ai décidé de changer de genre littéraire et de laisser tomber (du moins temporairement) le roman féminin et la chick-lit, j’ai pris un nouveau nom de plume, histoire de mieux habiller ce nouveau départ et de ne pas désarçonner les lecteurs qui m’ont connue avec des textes différents.
— Comment résumerais-tu Première Dame, en quelques phrases, pour donner envie de découvrir ton roman à celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu ?
— Première Dame, c’est un roman qui s’intéresse en premier lieu aux femmes de dictateurs, à leur expérience de la vie conjugale aux côtés de grands criminels de guerre, ainsi qu’à leurs sentiments et ambitions en tant que symboles complexes et parfois obscurs du pouvoir politique. J’ai donc imaginé le personnage de Jul Solri, épouse jusque-là sans histoires du dictateur Moon Jel-un, qui profite d’un séjour en Inde pour se soustraire à la surveillance de ses gardes du corps et chercher refuge à l’ambassade des États-Unis. L’idée était de proposer ce qu’on pourrait appeler un portrait de femme, tout en articulant un suspense autour de sa venue dans les locaux de la puissance ennemie et d’élargir les enjeux sur le plan mondial avec notamment des répercussions dans les rapports entre l’Orient et l’Occident. Est-elle victime ou complice des agissements de son mari ? Cherche-t-elle vraiment de l’aide auprès de l’ambassadeur ou tente-t-elle de le manipuler ? C’est toute la question que pose le roman.
— Première Dame est un thriller politique qui nous plonge dans les coulisses de la diplomatie internationale. C’est loin d’être banal. Est-ce que tu peux nous raconter sa genèse, nous dévoiler quelles ont été tes inspirations ?
— Mon inspiration la plus évidente me vient de la défection de Svetlana, la fille de Staline qui en 1967 profite elle aussi d’un séjour en Inde pour fuir son hôtel et réclamer l’asile auprès de l’ambassade des États-Unis. Nous sommes en pleine guerre froide. Naturellement, les États-Unis refusent la demande de Svetlana, craignant que l’URSS les accuse d’enlèvement. Comme dans le roman, Svetlana aura affaire à des diplomates un peu plus audacieux que la moyenne et c’est ainsi que ces derniers mettront au point une fuite un peu rocambolesque qui mènera Svetlana en Italie, en Suisse, avant de rejoindre le sol américain, cela en dépit des recommandations du département d’État, opposé à sa venue. Cet épisode m’a marquée et j’ai absolument voulu écrire dessus. Peu à peu, j’ai vu se dessiner des personnages, des conflits et des enjeux. D’autres éléments se sont alors intégrés à mon projet pour servir d’inspirations majeures comme la commission d’enquête infructueuse de l’ONU ordonnée en 2014 contre la Corée du Nord, la publication du rapport Valech en 2004 qui détaille les violations des droits de l’homme sous Pinochet, mais aussi le hashtag #FreeMelania qui a circulé pendant plusieurs semaines quand le grand public s’est demandé si Melania n’était pas victime de violences conjugales de la part de Donald Trump. Dans un registre plus lointain, on peut également songer à la guerre de Troie, ou du moins son pendant mythologique, puisque c’est aussi une figure féminine qui est au centre du conflit. Sauf que dans mon roman, cette figure féminine n’est pas juste l’élément déclencheur qui céderait ensuite la place à des héros masculins, elle est le personnage principal, celui vers qui tout converge. C’est bien pour ça que le roman s’appelle Première Dame et non L’épouse du dictateur (son titre original) car Jul Solri est un personnage à part entière.
— Le pays d’où arrive la Première dame qui donne son titre au roman n’est jamais nommé, mais il évoque sans ambiguïté la Corée du Nord. Les personnages de Jul Solri et Moon Jel-Un sont par exemple largement inspirés de Ri Sol-ju et Kim Jong-Un – jusque dans leurs noms. Pourquoi avoir choisi de donner un tel ancrage au pays fictif de ton roman ?
— Je ne voulais pas tomber dans le récit historique, ni dans le documentaire. Si j’avais choisi de raconter l’histoire de Ri Sol Ju en Corée du Nord (en gardant à l’esprit qu’on ne sait pas grand-chose), j’aurais été limitée dans mon sujet et dans mon approche scénaristique. Je suis par ailleurs convaincue qu’on ne doit pas faire n’importe quoi avec les acteurs réels du monde politique et/ou culturel. Si je cite Pinochet dans mon roman, c’est parce qu’il n’a pas d’incidence sur le récit et n’apparaît jamais directement. En revanche quand je fais parler le président chinois ou bien le chef du département d’état, même si je songe à eux, je ne dis pas qu’il s’agit de Xi Jiping ou Anthony Blinken et puise automatiquement dans leurs doubles fictifs parce que je raconte une histoire et qu’une histoire, c’est une abstraction du réel et non la réalité même. L’autre raison, c’est qu’au fond, le spectre de la dictature concerne tout le monde. La montée de l’autoritarisme en Europe nous le montre tous les jours et nos enjeux géopolitiques d’aujourd’hui sont des enjeux qui questionnent l’avenir de la démocratie. La Corée du Nord, c’est loin, mais la perspective de tomber sous le joug d’un tyran est beaucoup plus proche qu’on ne le croit. D’autant que nous traversons des épreuves particulièrement difficiles (le réchauffement climatique, la récession économique, les progrès technologiques sans précédent) qui nourrissent le désarroi et peuvent amener les populations à trouver refuge auprès d’un chef de guerre intransigeant.
— Dans le roman, l’ambassadeur des États-Unis en Inde se prénomme Pavel. Un prénom suffisamment remarquable pour que l’on soupçonne qu’il n’a pas été choisi au hasard. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
— Le choix du prénom pour un personnage de roman, c’est presque un moment mystique qui ne répond à aucune logique, ou presque. D’abord, je vois des visages, des habits et des façons de se comporter. J’imagine une voix, une coupe de cheveux, une ossature. Une fois que mon personnage a acquis de toute sa chair, une liste de prénoms défile sous mes yeux, et en fonction de comment le personnage réagit à chaque tentative de baptême sauvage, je garde ou je jette. Pavel m’est donc venu comme ça, sans que je ne le choisisse vraiment. Pavel, c’est aussi le prénom du militaire en fonction qui a trouvé le corps de Staline inanimé dans les appartements de sa datcha en 1953. C’est lui qui a dû gérer les premières heures suivant la mort de Staline, là aussi un événement politique sans commune mesure, notamment en prévenant les membres haut placés du Comité Central, sa famille, et le reste du personnel de la datcha. Dans le roman, mon personnage fait face à une situation très similaire. La mort de Staline est remplacée par la défection de Jul Solri, épouse de dictateur, et le huis-clos oppressant de la datcha de Kountsevo paralysée sous la glace de l’hiver russe, s’efface pour le huis-clos d’une ambassade au cœur d’un été caniculaire en Inde.
— Dans le contexte diplomatique électrique que tu as installé, j’ai été très impressionnée par la qualité des dialogues, avec les innombrables jeux d’allusions, de non-dits, de sous-entendus et de silences. Comment es-tu arrivée à ce résultat ? Est-ce que tu as adopté une méthode de travail particulière pour parvenir à rendre ces échanges aussi crédibles ?
— C’est gentil. Les dialogues sont cruciaux puisqu’à travers eux, ce sont les personnages qui s’expriment et prennent d’un coup toute leur autonomie. À ce titre, oui, j’y accorde une attention particulière. Je m’inspire des dialogues de film, mais aussi de la façon de travailler des humoristes dont l’art repose essentiellement sur le sens de la formule, sa force de frappe et sa justesse. Mon objectif, c’est de proposer des dialogues sérieux, mais qui frôlent avec l’humour, l’ironie et le sarcasme. Je ne crois pas avoir de méthode précise, et il y a des personnages qui se prêtent plus que d’autres aux dialogues enlevés.
— De manière plus générale, comment s’est déroulée l’écriture de ce roman ? Est-ce que tu as des souvenirs marquants ou des anecdotes amusantes à nous partager ?
— Maintenant, je n’en garde que des bons souvenirs, mais en réalité, l’écriture fut laborieuse car j’ai réécrit près de la moitié du roman avant de soumettre le manuscrit aux maisons d’édition. Les bêta-lectures du premier jet étaient mitigés et il y avait encore un gros travail de fond à fournir. Il m’a fallu un an et demi pour achever ce roman, quand d’habitude cela me demande six mois. Parmi les étapes les plus marquantes, je soulignerai le tout début, lorsque j’ai posé mes idées dans un carnet de notes et que tout s’est enchaîné. Puis la rédaction du plan. 50 pages en tout, sans compter les biographies des personnages de trois pages chacune, et les résumés des tensions politiques pays par pays. La seule anecdote « amusante » que j’ai à vous fournir c’est qu’au moment des corrections éditoriales, mon éditeur a voulu changer le prénom de Pavel au prétexte que ça ne résonnait pas avec ses origines chiliennes. Il s’est successivement appelé Juan, Antonio et Leonardo, mais rien ne me plaisait. Au moment de remettre le manuscrit final, j’ai rétropédalé et j’ai remis Pavel en arguant que c’était ça ou rien. Comme j’anticipais les objections de ma maison d’édition, j’ai ensuite demandé à chatGPT de me citer des personnalités hispaniques dénommées Pavel. Heureusement, il y en avait quelques-unes et j’ai pu garder Pavel. Ce fut un grand moment de soulagement.
Une autre anecdote. Avant d’écrire ce roman, j’avais écrit une biographie romancée de Staline. Le roman n’a jamais été publié et je ne le souhaite pas, mais c’est ce texte qui m’a convaincue de continuer sur le thème des dictateurs. De ce fait, lorsqu’il a fallu mettre en scène Moon Jel-Un (le double fictif de Kim Jong-un) j’étais incroyablement à l’aise et je me répétais en souriant : « allez, t’as passé six mois avec Staline, tu peux le faire ! »
— Je crois qu’on a tous des éléments qui nous tiennent plus ou moins à cœur dans ce qu’on écrit. Dans Première Dame, pour toi, quels sont-ils ? Qu’est-ce que ce roman revêt de particulier à tes yeux ?
— J’ai vu plusieurs articles de presse mentionner que mon roman était porté par l’ambition manifeste de dénoncer les crimes perpétrés par les régimes totalitaires, mais… pas du tout ! Bien sûr, c’est un sujet central dans le roman, mais ce serait enfoncer une porte ouverte que de s’insurger contre les violations des droits de l’homme en Corée du Nord. Si ce roman me tient à cœur c’est parce que j’avais pour objectif clair d’introduire au cœur d’un roman à suspense une figure féminine qui serait la véritable plaque tournante du récit. Je trouve en effet que les personnages féminins sont encore trop souvent relégués dans les thrillers à des places secondaires, cantonnés à des rôles de « stock character » là pour habiller le récit sans l’impacter considérablement. Lorsque ce n’est pas le cas et qu’une femme se voit confier enfin un rôle d’envergure, il demeure calqué sur des modèles masculins et passe sous silence la particularité de l’expérience féminine. J’ai voulu prendre le contrepied de cette tendance en dessinant un personnage qui serait une femme forte, complexe, courageuse, en dépit du rôle suranné, pour ne pas dire normalisé, d’épouse dans lequel on la confine et auquel elle s’identifie. Elle est dotée d’une quête qui lui est propre et elle doit surmonter le même nombre d’obstacles que l’ambassadeur qui est autant son rival que son allié. Ce n’est pas donné à toutes les femmes dans un thriller ! Par ailleurs, si le roman relate une crise diplomatique, l’un des leviers du récit porte sur la critique des genres et des perceptions que l’on a du rôle masculin, notamment la figure de l’homme qui sauve, ainsi que du rôle féminin et le fantasme de la demoiselle en détresse. Donc voilà, ce roman est féministe avant tout. Au cœur d’un genre littéraire qui ne l’est pas encore assez.
— Avant de parler un peu plus de toi, est-ce que tu souhaites ajouter autre chose au sujet de ton roman ?
— Je ne sais pas trop, à part… de tous les romans que j’ai écrits, celui-là est mon favori et qu’encore une fois, il a été porté par des ambitions féministes et que je pourrais écrire des tartines sur la façon dont la représentation des femmes dans les thrillers me pose problème et de comment j’ai tenté de contrer, critiquer ou déjouer ces écueils-là dans mon texte.
— Parlons maintenant un peu de l’autrice derrière l’œuvre. Est-ce que tu as toujours voulu devenir autrice ? Qu’est-ce qui t’a amenée à l’écriture ?
— Plus jeune, je voulais devenir juge d’instruction, donc non. En revanche, j’ai toujours écrit. Je voulais recréer les instants d’émotions que me procurait un film ou un livre, vivre des aventures infinies, frémir au gré des péripéties et poser mes propres conditions au récit. Écrire, c’est comme jouer dans sa chambre, on peut tout se permettre, affronter mille périls et à chaque fois en sortir vainqueur. Si j’ai arrêté depuis longtemps de jouer dans ma chambre, je n’ai jamais pu cesser d’écrire.
— Peux-tu nous décrire ta façon de travailler ? Est-ce que tu as des rituels, un environnement fétiche… ? À quoi ressemble(nt) le(s) lieu(x) où tu aimes écrire ?
— Je me pose devant mon ordinateur, je le regarde d’un air affligé, puis doucement, le moteur de mon cerveau se met en route et j’écris. Je n’ai pas de rituels. J’aime écrire depuis mon canapé, du moment qu’il fait suffisamment bon dans la pièce.
— Est-ce qu’il y a des livres, des auteurs ou autrices (ou bien des œuvres ou artistes, pas forcément en littérature) qui t’ont profondément marquée ? Au point peut-être d’influencer ta propre écriture ?
— Donna Tartt pour son sens de l’observation, Joyce Carol Oates pour son écriture fine et implacable, Douglas Kennedy pour ses pitchs hyper engageants, et surtout Marisha Pessl qui possède un style à la fois intelligent et drôle. Son thriller Intérieur nuit reste ma référence à chaque fois que je me plonge dans l’écriture d’un roman et c’était d’autant plus vrai lors de la conception de Première Dame. Pour moi, Première Dame c’est Intérieur nuit au pays de la dictature. Le traitement scénaristique est peu ou prou le même, c’est-à-dire qu’on mêle les genres littéraires, on se joue des codes du thriller, et surtout on questionne une figure puissante de l’imaginaire collectif en s’intéressant au parcours d’un personnage féminin.
— Publier un roman aux prestigieuses Éditions Héloïse d’Ormesson, c’est un rêve qui semble inaccessible à la plupart des personnes qui se lancent dans l’écriture. Alors dis-nous, outre le talent, qu’est-ce qui fait qu’on en vient à le réaliser, ce rêve ? Bref, peux-tu nous parler un peu de ton parcours éditorial ?
— Il faut de la chance car le travail ne suffit pas, le talent encore moins. Ce roman aurait pu tout aussi bien ne pas être publié et pour tout dire, j’étais à deux doigts de le ranger dans un tiroir. Il a néanmoins eu un parcours intéressant puisqu’il a terminé finaliste du concours de thriller organisé par Fyctia, la plateforme d’écriture rattachée à Hugo romans, et s’est ensuite fait remarquer par Edith & Nous avant d’être signé chez EHO.
— Ta réponse est « J’espère. » Peux-tu me donner la question ? Pas forcément en lien avec l’écriture.
— Vas-tu publier un autre roman ?
— Même principe, pour la réponse « Surtout pas. »
— Aimerais-tu vivre dans une dictature ?
— J’ai gardé la question qui fâche pour la fin : et maintenant ? Quels sont tes projets d’écriture et à quel stade se trouvent-ils ? Est-ce que tu as le droit et l’envie de nous en toucher quelques mots ?
— Je n’en suis nulle part pour être honnête. J’ai plusieurs pitchs sous le coude, mais il me manque la conviction. J’attends que ça se décante.
— Pour conclure, est-ce qu’il y a un dernier élément que tu souhaites aborder ?
— Non, je crois qu’on a fait le tour. Merci pour toutes ces questions.
Encore merci à toi d’avoir accepté de me répondre !
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